Tu n'y verras clair qu'en regardant en toi. Qui regarde l'extérieur rêve.
Qui regarde en lui-même s'éveille.
Carl Gustav Jung
L’attitude de lâcher prise et l’ancrage dans le moment présent propre à la méditation nécessitent l’abandon des attentes et l’absence d’objectifs immédiats pour cette pratique. En effet, viser un objectif spécifique, rechercher un état particulier nous éloignerait du moment présent pour nous projeter dans un ailleurs temporel. Souhaiter autre chose que ce qui est présent nous fait donc quitter la posture méditative. Cependant, si nous adoptons un point de vue plus général sur le cheminement du méditant et l’évolution de sa pratique, force est de constater que celle-ci n’est pas statique et que le critère de profondeur de la pratique éclaire ce qui s’y joue. La phénoménologie de l’expérience méditative montre en effet qu’une méditation peut être plus ou moins profonde en fonction notamment du niveau d’expérience et de certaines dispositions personnelles. Plutôt que de viser un état de bien-être, il s’agit de s’y rendre disponible en s’ouvrant à notre nature profonde source de sagesse.
Je relevais dans ma précédente lettre, à propos des effets de la méditation sur le sommeil, que les pratiquants expérimentés parviennent à contrôler leur système nerveux sympathique pour installer un état de grand calme avec baisse du métabolisme et stimulation de la branche parasympathique du système nerveux autonome, laquelle permet de calmer l’organisme et d’instaurer un sentiment de confiance envers le monde (état hypométabolique éveillé à dominance parasympathique). Ce calme mental et la détente physique qui accompagnent la méditation peuvent d’une certaine façon servir de guide dans la pratique contemplative.
La profondeur méditative peut être décrite et évaluée différemment selon les approches, qu’elles soient traditionnelles ou scientifiques. Dans sa recherche, Piron (2001) interroge des méditants expérimentés de manière à construire une échelle permettant d’évaluer la profondeur de l’expérience méditative en cinq stades qui vont de la lutte pour la concentration du débutant jusqu’au ressenti des qualités essentielles (amour, dévotion, gratitude) et à l’expérience contemplative de non-dualité et d’unité avec toutes choses de l’éveillé. Au fil de cette progression, la distinction entre sujet et objet, entre l’interne et l’externe s’estompe pour aboutir à la transcendance du soi.
Cette progression spirituelle dépend de la durée de la pratique et d’une certaine caractéristique de la personnalité dénommée absorption (Hölzel & Ott, 2007). Du fait que la méditation est une forme d'entraînement de l’esprit, les années d’expérience et l’assimilation de la philosophie sous-jacente vont affiner la pratique, tout comme la pratique assidue d’un sport ou d’un instrument de musique fait progresser sa maîtrise. Quant à l’absorption, il s’agit en psychologie d’une disposition à vivre des épisodes de concentration totale où toutes les ressources sont focalisées sur l’objet d’attention. Cette caractéristique peut rendre compte de l‘état modifié de conscience du méditant qui s’absorbe entièrement dans la contemplation. Ce trait de personnalité va de pair entre autres avec la réceptivité à l’esthétique, l’oubli de soi, la pensée en images, la synesthésie et les expériences mystiques (Tellegen & Atkinson, 1974). On peut le rapprocher du concept de flow (flux), soit l’expérience optimale vécue lors de moments agréablement intenses (Csikszentmihalyi, 1990). Fondamentalement, l’absorption correspond à la volonté de déstructurer les modes habituels de perception et de raisonnement, ce qui aboutit à une vision de soi et du monde transformée (Tellegen, 1992). L’absorption devient ainsi un ingrédient essentiel de ce que l’on peut appeler les états transpersonnels de non dualité et de dissolution de l’ego que l’on retrouve dans la plupart des traditions spirituelles, mais aussi dans les expériences sous influence de drogues psychédéliques, dont on redécouvre aujourd’hui certains aspects thérapeutiques.
Par ailleurs, cette disposition de la personnalité joue un rôle plus important que les années de pratique dans la profondeur de la méditation, mais en contrepartie la pratique peut développer ce trait de personnalité.
Pour le bouddhisme, l'absorption méditative, appelée aussi recueillement, est la traduction du terme sanskrit Samadhi qui désigne l’état de méditation profonde découlant de la stabilisation de l’esprit par la concentration sur un objet unique où finit par s’effacer l’opposition sujet - objet. Le maître et écrivain bouddhiste Sangharakshita envisage l’absorption comme le second des trois stades de la méditation. Il y a d’abord le stade de concentration intense sur un objet (souffle, mantra, flamme de bougie, concept ou vertu à cultiver, par exemple) qui aide le pratiquant à se rassembler, à s’unifier et à se recentrer sur le moment présent. Avec le second stade, celui de l’absorption, les pensées s’amenuisent et la conscience devient plus claire et intense. Le dernier stade est celui dit de la vision pénétrante, soit la vision claire de la nature des choses.
Certes de tels états méditatifs requièrent une grande discipline et des entraînements réguliers voire intensifs. Toutefois le simple fait de s’ouvrir à la possibilité d’états mentaux radicalement différents de notre conscience ordinaire peut suffire à nous faire progresser et à enrichir le champ des possibles de notre existence, nous libérant ainsi des conditionnements et enfermements propres à notre société techno-matérialiste.