Eckhart Tolle
Dans un tel contexte de retour à notre réalité quotidienne quelle place donne-t-on à la pratique méditative ?
On pourrait être tenté d’y trouver un échappatoire aux frustrations de toutes sortes qui ne manquent pas de se manifester dans ce retour à la vie active. Toutefois nous savons bien que la méditation n’est pas une pratique du bien-être, puisqu’elle nous place face une réalité qu’il s’agit d’abord de reconnaître, puis d’accepter, d’apprivoiser pour ultimement se libérer des voiles obscurcissant de notre mental.
La réalité que rencontre le méditant dans sa pratique n’est pas monolithique, en effet il n’y a jamais deux méditations identiques. Pourtant le méditant peut avoir l’impression que l’ennui et la lassitude s’y installent et qu’à force de vouloir suivre son souffle il finit par s’essouffler… Pour d’autres à l’inverse ce sera le foisonnement des pensées qui donnera un troublant sentiment de dispersion et mènera à un vécu d’impuissance…
Ces réactions sont autant de manifestations de l’égo qui cherche à exister coûte que coûte par l’intermédiaire d’une certaine catégorie de pensées et d’affects. Ces manifestations représentent une sorte de membrane - écran sur laquelle viendraient se projeter des contenus mentaux vagues ou organisés, agréables ou désagréables. Ces réactions permettent au moi de se délimiter du monde qui l’entoure et de s’installer dans une dualité à certains égards rassurante.
Dès lors quel est le statut de l’égo dans la pratique méditative? Son statut est manifestement limitant puisqu'il tend à nous couper de la richesse et de l'étendue de l’expérience. L'égo nous fait oublier la dimension de l’être essentiel ou de l’âme en nous, que Mathieux Ricard nomme la nature fondamentale, non-duelle et lumineuse de la conscience.
Notre société individualiste et matérialiste nous pousse à penser que nous ne sommes rien de plus que notre moi individuel et il faut aller revisiter la sagesse des anciens pour sortir de cette ignorance. Pour Tragore (Sâdhanâ, 1913) le moi s’apparente à la coquille d’oeuf du poussin. Lorsqu’il brise l’isolement égocentrique dans lequel la coquille le maintenait, il peut découvrir le vaste univers tout autour de lui et vivre la liberté de l’air et de la lumière. L’homme qui parvient à dompter son égo trouve ainsi l’unité dans l’union parfaite avec le monde. Au contraire celui qui demeure enfermé dans l’égo reste dans l’ignorance et dans une forme de sommeil spirituel, poursuivi par les sentiments d'orgueil, d’envie et de cruauté liés aux buts égoïstes nous dit Tragore.
Ainsi le travail méditatif nous aide-il à rendre plus poreuse la membrane de l’égo essentiellement grâce au lâcher-prise bienveillant et à l’ancrage dans la réalité actuelle. Nul besoin de vouloir parvenir à un état supérieur, l’égo se dissout de lui-même dans l’instant présent permettant l’élargissement et l’ouverture vers l’extérieur (C. Trungpa, 1981; E. Tolle, 1997).